05 avril 2009

Charles ! Attends !

Vous ne le répéterez à personne hein ?
Promis ? Juré ? Bon.. alors je vous raconte.

Il y a presque un an de cela, j'étais à Los Angeles. On n'y a passé qu'un week-end, moi j'aurais bien aimé y séjourner un peu plus longtemps, mais c'est vrai qu'en compagnie de Père et Mère et de mon dégénéré de cousin Estèphe, mieux valait ne pas trop s'y attarder.


Pourquoi toute la famille s'est elle retrouvé à L.A. ?

Pfff...

Pour le bête mariage de la fille d'un cousin au second degré de ma mère. Un truc, je vous raconte pas, y'avait bien mille personnes au banquet. Mille et une d'ailleurs, car la mariée comptait pour deux.

Bref, je m'embêtais à cent sous de l'heure en grignotant au buffet, tout en essayant de repérer un type valable avec qui je pourrais tranquillement m'esquiver pour passer une fin de nuit un peu moins mesquine. Malheureusement, tout les beaux gosses musculeux qui croisaient mon regard semblaient invariablement avoir une blonde à forte poitrine et aux lèvres siliconées pendue au bras.

J'aurais bien aimé que Calixte soit là, à l'époque on s'entendait plutôt bien, il m'avait pas encore volé mon mec. Au moins j'aurais eu quelqu'un pour discuter, mais le pleutre, prétextant un séminaire en Finlande, m'avait fait faux bond.
J'en étais là de mon ennui, accoudée au buffet dans une pose lascive que j'espérais affriolante quand j'ai été dérangée par l'horrible odeur d'œuf pourri qui se dégageait du type près de moi.

Comme la salle était remplie à craquer de WASPs rasés/épilés de frais et parfumés au Ralph Lauren, je me suis dit que j'étais victime d'une simple illusion olfactive. Et j'ai tourné la tête pour vérifier.
Wow... J'ai fait en dévisageant le clodo au visage grêlé et à l'air vieux comme une collection printemps/été Chanel des années 70 qui se goinfrait près de moi dans l'indifférence générale. Il m'a jaugé de haut en bas, l'œil torve et a lâché le petit four qu'il tenait pour essayer de me mettre une main au panier.

J'ai pensé à appeler la sécurité, qui n'avait pas bien fait son boulot, mais le type m'a coupée net dans mon élan.

- Hé mignonne comment tu t'appelles ? Tu viens souvent toute nue aux mariages ? Tu es la bimbo qui doit sortir du gâteau?

Je me suis empressée de lui rétorquer que ma robe, bien que courte n'en restait pas moins couvrante et de fil en aiguille, on a fini par cesser de se disputer et une vraie conversation s'est engagée. L'odeur d'œuf gâté et celle de vinasse bas de gamme de son haleine ont fini par s'estomper, l'habitude sans doute.

En fait, c'était Bukowski.

Ça tombait sous le sens, vu que le père de la grosse cousine américaine bosse dans l'édition.

Il m'a parlé de ses romans, comment l'alcool l'avait inspiré, m'a dit son avis très intéressant sur les femmes, il est parti dans des diatribes enflammées et sans concession sur la société américaine, les yuppies et le libéralisme, on était pas tout à fait d'accord, j'aime beaucoup les yuppies américains, ils ont de belles voitures, des appartements de luxe avec piscine et ils font des supers cadeaux et comme ils n'ont aucune culture autre que celle qui leur sert pour le boulot, y' même pas à parler entre deux séances de jambes en l'air, ils sont tout bénef' les yuppies...

Mais ça Bukowski ne peut pas le savoir.

Tout la soirée on a parlé de ses romans et de ses poèmes, que j'ai fait semblant d'avoir lus, alors que je n'ai lu que trois pages des Contes de la folie ordinaire, avant de décider qu'un type laid qui fourre des préposées au courrier sur la photocopieuse ne mérite décidément pas mon attention.

Mais bon, il est célèbre, j'ai bien d'être à la bonne avec les people, même si ils sont vieux et qu'ils ont l'air d'être un peu incontinents.

Et Charles parlait, il parlait et parlait encore... Et je ne sais même plus comment on s'est retrouvé dehors, loin du banquet, bras dessus, bras dessous à baguenauder de bouge en bouge, à boire ce que les américains appellent du vin et qui sur mon palais avait plutôt un goût de vinaigrette.

Y'a pas, Bukowski, il a la gouaille, je suis restée suspendue à ses lèvres affreuses toute la nuit, suffoquée par ses histoires de baise, de débauches et de putes grasses, alcooliques mais au cœurs gros comme ça. Je lui ai raconté mes nuits londoniennes, il m' a dit que si j'avais pas l'air aussi pintade je pourrais devenir quelque chose, mais que j'étais tellement gourdasse que j'étais même pas bonne à fourrer. J'ai pas trouvé ça très sympa, mais j'étais trop saoule pour protester.
Et vu la manière dont il n'arrêtait pas de me tripoter les seins ce vieux dégueulasse, il devait pas vraiment penser ce qu'il disait.
Mais pendant une nuit, c'était la vie crasse, la vraie, qui m'a envahie. Celle des matins bièreux, les yeux jaunis d'alcool, celle des coups, des bagarres, la vie de bohême comme je ne la vivrais jamais.
C'était génial ! Je m'y croyais trop ! Grâce à Charles j'ai pris la mesure de l'Amérique urbaine, l'originale, la profonde ! Il m'a tout expliqué et c'était trop bien.
Pour une nuit hein, parce que pour toute la vie, non, bof...

Y'a un moment, par contre, c'est devenu tout noir et je me suis réveillée sur une plage, allongée sous un tas de cartons. C'est un sauveteur trop mignon qui m'a sortie de ma torpeur en me secouant sans ménagement, j'étais pas très fraîche et j'ai jamais retrouvé mon sac à main.

Un peu puante, et l'œil vitreux je suis rentrée au Hilton où notre famille logeait. C'est Mère qui a dû aller me chercher dans le lobby, car le portier refusait de me laisser entrer.

- Mais où étais-tu encore passée ? Je me faisais un sang d'encre.

- Woaaah Mère, vous ne devinerez jamais avec qui j'ai passé la nuit !

- Dis toujours, mais après va prendre une douche, tu empestes.

- Je me souviens plus de grand chose mais j'étais avec Bukowski ! Charles Bukowski !

- Ma pauvre fille, tu as décidément besoin de sommeil. Bukowski est décédé il y a 14 ans.


Je n'ose même pas vous dire combien de temps j'ai passé sous la douche...

4 commentaires:

mtislav a dit…

Tu mérites ce tag. T'es très douée.

Anonyme a dit…

Oups, j'ai oublié répondre. Je suis une peu tête en l'air. :)

Merci. Ça m'aurait ennuyée que votre rédaction se sente plagiée.

Loïs a dit…

Je me régale à vous lire, vous racontez drôlement bien les histoires !

Anonyme a dit…

Merci ! Ca me fait plaisir que vous aimiez.