04 décembre 2009

La chute de la Maison Hurtebise- 2

La température de la pièce a chuté d'une bonne dizaine de degrés. En tout cas je me suis mise à claquer des dents bien malgré moi.

Mère s'est levée, au ralenti, comme dans les films où le dragon surgit de sa grotte et qu'on s'y attendait vraiment pas du tout ( et alors on se cache la tête entre les jambes de son voisin, mais là j'étais toute seule).
Ses yeux scintillants comme des glaciers en feu étaient dardés sur moi. Je me suis empressée de me baisser pour ramasser les morceaux.
- "Ne.La.Touche.Pas." a  tonné Mère sans prendre la peine d'élever le ton (j'ignore comment elle fait mais on entendait même les majuscules)

J'ai battu en retraite en évitant soigneusement son regard façon iceberg. Je me sentais soudain aussi maniable qu'un Titanic. Dans ma fuite à reculons j'ai fait tomber un coussin Kelly et j'ai marché dessus, le cri de la soie déchirée sous mon talon a transformé la bouche de Mère en un mince, très mince fil.

C'en était fini de moi.

- Dans.Ta. Chambre. Immédiatement.
- Mère, j'ai 26 ans. J'ai tenté, dans un souffle alors qu'elle se rapprochait dangereusement.
- Et ?

Je me suis retenue très fort de taper du pied en gonflant les joues, ça lui aurait donné raison, à la place j'ai trépigné discrètement en disant "Gnagna gna " et je suis pas allée dans ma chambre pour la peine.


J'ai foncé au grenier, dans l'ancienne salle de jeu. Seule pièce épargnée par l'ouragan décoratif Kelly.
J'ai entendu Mère m'appeler. Elle avait du vouloir m'amener une Bible dans ma chambre, que je me repente.
J'ai pas répondu. J'ai juste attendu qu'elle aille passer ses nerfs sur quelque chose d'autre. A en juger par les éclats de voix, c'est André, son chauffeur, qui a essuyé la tempête. Je dois lui envoyer des chocolats.

J'étais assise sur un coffre à jouet en train de jouer avec les Ken de Calixte (enfin les miens, mais comme il me les volait, c'est les siens maintenant) (je vous raconte pas ce que je leur faisais faire) quand j'ai entendu un léger grattement à la porte. Ça faisait deux heures que j'étais là et à part une légère envie de pipi, tout allait bien.
J'ai fait comme si je n'y étais pas.

- "Mademoiselle Hurtebise ? C'est moi, Gontran." (plus ou moins je majordome/homme à tout faire de la maison). "Vous pouvez descendre, votre mère est partie. Anne-Lise vous a préparé à manger et je peux vous emmener à la gare avant qu'elle ne revienne."
J'ai entrouvert la porte, au cas où ç'aurait été un piège, j'ai confiance en Gontran, mais Mère peut être tellement persuasive. Gontran était seul, il avait l'air un peu fatigué.
- "Ou est-elle ?"
- "Un cocktail. Elle ne reviendra pas avant quelques heures. Vous avez le temps de vous restaurer avant de partir."
- "Le temps..." Ais-je murmuré tout en descendant les escaliers. Gontran qui me précédait s'est tourné vers moi, l'air méfiant.
- "Gontran, ramenez les sacs poubelles, on va à la déchetterie."
Il n 'a pas mis plus de 5 secondes à comprendre.
- "Mais vous n'y pensez pas ! Nous restons nous ! Anne-Lise et moi allons nous faire renvoyer dans la seconde où elle découvrira que tout a disparu. "
- "Bien sûr que non. Vous avez votre soirée si Mère n'est pas là n'est ce pas ?"
- "Oui..."
- "Eh bien donnez moi ces satanés sacs poubelles et emmenez Anne-Lise au restaurant. La facture fera foi et la faute retombera sur moi. J'avouerai, promis. "
- "Mais, je..."
- "Sinon je raconte à Père que..."
- "Bien bien. N'inventez pas plus loin. Je vous amène ça."

Je me suis donc retrouvée avec mes sacs poubelles à errer dans la maison. Anne-Lise et Gontran m'ont jeté un regard désolé en partant . Je me sentais comme une héroine au corset en cuir et aux sandales à lacet qui partait au devant d'une armée de trolls et d'une mort certaine pour sauver ses amis les gentils lutins des bois. Une heure de promenade plus tard, l'héroine en que j'étais commencait à en avoir assez de traîner ses sacs pleins de coussins, portraits et autres monstruosités commémoratives. La récompense c'est que la maison retrouvait une apparence décente. (J'ai pas vraiment les même goûts que mes parents, mais avant la folie de Mère, l'ensemble était assez sobre et homogène, ce qui n'est déjà pas si mal.)

Une fois ma tâche accomplie j'avais posé au milieu de l'entrée quatre grands sacs à faire disparaître loin et vite. J'ai foncé au garage, le vieux vélo de Calixte était toujours là, je suis allée enfiler un jean et des baskets (oui pédaler en microjupe et talons aiguilles c'est dangereux, et j'avais pas envie de filer mes bas) deux aller-retours plus tard, les sacs étaient en sécurité dans les toilettes automatiques du skate park de derrière l'église. Joie et bonheur à celui qui est passé après ma visite pour se soulager la vessie.

Avant d'appeler un taxi pour m'emmener à la gare j'ai laissé un petit mot sur un guéridon, j'ai longuement hésité sur le contenu, j'allais pas dire : "Maman, je t'aime". Dire ça c'est tabou et en plus c'est pas très vrai. Alors j'ai écrit :  "Mère, je suis sûre qu'un jour vous comprendrez." Et pour faire comme un bisou, j'ai laissé une empreinte de rouge à lèvres comme signature.

Je n'ai pas eu de nouvelles depuis mais, d'après Gontran, elle se sert de ma brosse à cheveux et de mon petit mot pour faire du vaudou avec ses copines de bridge. Ça expliquerait peut-être pourquoi tous mes ongles cassent un à un cette semaine.

4 commentaires:

Pavot a dit…

Son canapé doit être bien nu, maintenant. Un petit cadeau faciliterait peut-être son pardon ? Au hasard: de jolis coussins à l'effigie framboisée, qui en outre faciliteraient ses activités post-bridge.

Ant. a dit…

Chère Framboise,

Sussurez donc à la coincée du cul qui vous sert de factotum technique pour le maintien du blog que la photo qui illustre votre billet pixellise à un point qu'on en préfèrerait une photo de Susan Boyle à la place.

Anonyme a dit…

Pavot : Mon dieu non ! Si je fais ça je risque de me réveiller avec un bouton sur le menton ou un poil incarné sur le mollet. L'horreur...

Ant. Ah je ne suis donc pas la seule à penser qu'elle est frigide et mal-baisée !
Cela dit c'est de ma faute, j'avais appuyé sur le mauvais format en mettant la photo. Je ne suis pas encore idiote au point de ne pas réussir à insérer mes illustrations moi-même.

francois-fabien a dit…

C'est savoureux... Délicieusement et subtilement savoureux... Comment s'empêcher d'espérer impatiemment la suite?