05 juillet 2009

Doggy Bag


Je vous raconte pas l'ambiance ce soir au Domaine. 
Le gloom s'est abattu sur la demeure. La valetaille marche sur la pointe des pieds, Calixte a préféré fiche le camp dès qu'il a été capable d'aligner deux pas sans tituber et moi, je dois rester, ordre de Mère, mais je viens de prétexter une migraine pour regagner ma chambre.

D'habitude quand je passe le weekend chez Père et Mère, je m'ennuie à mourir, et d'ailleurs ce week-end -ci ne s'annonçait pas différent des autres. Pourtant...



J'ai depuis longtemps renoncé  à forniquer avec les employés de la maison, Mère les renvoie à chaque fois. J'en ai marre de toujours devoir m'habituer à un nouveau casse-croûte.
Je n'ai pas non plus le droit de sortir sans Mère.
Oui c'est comme ça.

Surtout depuis qu'elle s’est mise en tête de me refaire une dignité. Elle aimerait effacer ma réputation de fieffée salope de la mémoire collective de toutes les familles respectables du voisinage, (ça va être dur, à 16 ans, j’avais déjà déniaisé chez eux tout ce qui était en âge de l'être).


Calixte, par contre, a le droit. Des fois il m'emmène, c’est mon chaperon (haha) et puis des fois non.

Samedi après le repas il est sorti. Moi non. Ça servait à rien, j'ai mes règles.
 

J'ai bu une tisane avec Mère, rigolé en lisant les absurdités que Griotte déblatère sur twitter et je suis montée lire Mademoiselle de Maupin dans ma chambre en rêvant de me déguiser en homme pour aller exercer ma cuisse légère dans des lieux de perdition .
Je me suis endormie vers deux heures du matin sans avoir entendu Calixte rentrer, ce qui n'a rien de surprenant. 


Je dormais donc, et j'étais en train de rêver que je me prélassais nue sur une plage, quand dans mon rêve un corps chaud, encore humide de la caresse des vagues, s'est glissé contre moi et un bras musclé a entouré ma taille.
Chouette un rêve érotique !
L'homme s'est approché de mon oreille, j'ai frémi d'avance, allait-il la mordiller, me murmurer des mots doux ?
- Gerboise, Gerboise, réveille toi,  a-t-il gémit pendant qu'une odeur d'alcool fermenté se répandait autour de moi.
On a fait plus sensuel.

J'ai ouvert un œil.
Calixte, en chemise (comprenez sans pantalon), trempé de sueur, était à demi-allongé sur moi et semblait avoir quelques difficultés à se redresser.
- Frangin, tu pues, va empester dans ta chambre, j'ai grogné en le repoussant.
- Déconne pas, je suis saoul.
- Sans blague ?
- Framboise, faut que tu m'aides.
- Tu veux aller vomir ?
- Non ça ira, mais je crois que j'ai tué Kelly.
- Le chien de Mère ?
- Mmm...
- Tu crois ?
- Ben...
- Elle est où ?
- Dans le bac à légumes du frigo.
- ...
- Je suis saoul... a-t-il geint en guise d'explication.
Je n'ai rien répondu. Je suis descendue à la cuisine sur la pointe de mes charmants petits petons nus, ramassant au passage le pantalon et les chaussures de mon soulot de frère dans l'escalier.


Une fois sur le lieu du crime, il ne m'a pas fallu longtemps pour comprendre ce qui était arrivé. 


Kelly dort généralement dans son couffin dans le salon. Dès que quelqu'un entre elle se glisse sous le guéridon de l'entrée, et si elle connait l'individu qui ose troubler son sommeil, elle se met à japper, à geindre  et à faire pipi partout au lieu d'aller se recoucher. La seule solution pour qu'elle se la ferme est de la prendre dans ses bras et de la rendormir. Non je ne déconne pas. Calixte et moi, même dans un état d'ébriété avancé, parvenons généralement à l'attraper avant même qu'elle ait émis le moindre son. C'est une habitude à prendre.

Revenons à la cuisine : sur la table il y avait une assiette de restes du repas de la veille ; quelques tranches de magrets de canard et du riz sauvage, le tout baignant dans une sauce brune légèrement coagulée.

La porte du micro-onde était ouverte et effectivement, dans le bac à légumes du frigo gisait le petit cadavre encore chaud de Kelly.

Calixte même très saoul s'en sort généralement bien, enfin, mieux que moi. Je ne manque jamais de trébucher dans un truc.
Mais évidemment, ça n'empêche pas quelques dérapages.
Même à demi-endormie, j'ai bien pu rejouer la scène, ça aurait pu être moi :
 

Calixte, affamé après une nuit de débauche, entre dans la cuisine, Kelly sous le bras gauche, ouvre le frigo et sort l'assiette que la cuisinière, connaissant les habitudes du fêtard, avait préparé bien en vue pour son retour, et le voilà, saoul, qui pose Kelly sur la table et met l'assiette dans le micro-onde, mais à l'inverse, en fait.
Kelly sûrement endormie à nouveau ou trop surprise a oublié de japper (elle n'a jamais trop compris quand et pourquoi utiliser ses cordes vocales cette bêtasse là).
Et voilà, en quelques minutes, un chihuahua bien cuit, y'aurait plus manqué qu'il l'arrose de sauce à la pékinoise avant de se rendre compte de sa bourde.


J'ai imaginé Calixte assis à la table, la tête dodelinant au rythme du ronron de l'appareil meurtrier, tout en fixant d'un œil morne l'assiette de victuailles devant lui jusqu'au "ting" fatidique. 


Et les quelques instants qu'il lui a sans doute fallu pour réaliser que non, vraiment, là, quelque chose clochait.

J'ai failli rigoler. 


Mais je me suis reprise et j'ai remis l'assiette en place dans le frigo, posé les fringues de Calixte en bas de l'escalier pour ne pas oublier de les remonter et emballé Kelly dans un sac plastique.

Ce qui est amusant quand vous passez un petit animal au micro-onde, c'est que la cause de la mort n'est pas évidente. J'aurais cru que ça explosait ces choses-là, mais à mon avis, il aurait fallu l'y passer plus longtemps. 

Elle était juste un peu tordue, la viande, ça réduit à la cuisson.  

J'aurais donc pu la poser délicatement dans son petit couffin et tout le monde aurait cru à une mort naturelle. Mais connaissant Mère et la passion qu'elle voue à son rat hydrocéphale, elle aurait demandé une autopsie et je n'ai même pas voulu prendre ce risque. J'ai dit une courte prière pour le salut de son âme quand même, Kelly était comme Mère, folle de la messe, il fallait la voir, assise sagement, sous le prie-dieu de Mère, aboyer en sourdine et à l'unisson avec les fidèles. J'ai passé un châle par dessus ma nuisette, mis des chaussures et je suis sortie Kelly avec dans son petit sac plastique, quelle destinée... 

Nous n’habitons pas très loin de la voie de chemin de fer, c'est l'endroit idéal pour se débarrasser de cadavres encombrants paraît-il.
Oui. Je sais. C'est immonde,  même un affreux bestiau atteint d'acromégalie faciale mérite mieux comme tombeau, et si j'avais laissé mon frère se dépatouiller tout seul j'aurais même peut-être pu récupérer sa part d'héritage, mais j'aime mon Calixte que voulez-vous. J'ai donc déposé Kelly dans un buisson de ronces et je suis rentrée aussi vite que possible, histoire que personne ne me repère. 


En revenant, j'ai replacé mes affaires avec exactitude, vérifié qu'aucun système de surveillance n'avait été activé ( nos parents ne les mettent que lorsqu'il n'y a personne, mais on est jamais trop prudent, si Mère le pouvait elle me glisserait un capteur GPS sous la peau).

Il ne restait plus qu'à empêcher Mère de soupçonner que Calixte ai pu malencontreusement laisser l'animal s'échapper en rentrant.

Je suis retournée m'occuper de lui d'abord. Assis sur mon lit, complètement débraillé, il vomissait de tout son cœur et de toutes ses tripes dans ma poubelle.

Y'a pas, il est très propre ce garçon.
Je l'ai discrètement emmené  dans la salle de bain adjacente à ma chambre (nos parents ont leurs  appartements à l'autre extrémité de la maison, ils ont bien raison, ça nous laisse le champ libre).
Je suis une bonne petite sœur, je l'ai lavé (non pas comme je lave David, c'est mon Frère bon dieu, qu'allez vous penser là) je lui ai tenu les cheveux pendant qu'il vomissait ce qu'il lui restait sur l'estomac et je l'ai mis dans mon lit.
Le temps de faire tout ça, il était 6 h30 du matin.

Ça tombait bien, il ne me restait qu'une chose à faire.
Kelly se réveille chaque matin à 6 h30 et jappe.
Elle sert de réveil à Mère et tant qu'on y est au reste de la maisonnée. Le dimanche, Mère s'octroie une grasse matinée, jusque 8 heures, mais elle descend chercher Kelly et la fait se rendormir près d'elle. 

Pauvre Père. 
Son ordalie dominicale aura au moins pris fin.
A force de me moquer de Kelly, j'ai fini par savoir l'imiter à la perfection,
 

Laissant mon frère nu, propre et frais entre mes draps je suis descendue sans bruit, ouvert la chatière de la cuisine, celle qu'il ne faut JAMAIS ouvrir.
Ensuite, je me suis mise à quatre pattes dans le salon, histoire de mieux incarner le personnage et j’ai imité les jappements matinaux de la défunte aberration canine. Dès que j’ai entendu Mère se lever je suis retournée dans ma chambre aussi vite que possible (j’avais un tout petit temps de battement pour ne pas la croiser dans le couloir) et je me suis recouchée à côté de Calixte qui ronflait comme un bienheureux. 

A 6h47 Mère entrait dans la chambre.
- Où est ton frère ?
J’ai très bien fait la fille qui émerge d’un profond sommeil.
- Là, il est rentré  tout malade à deux heures du matin, vous ne l’avez pas entendu ? Je crois qu’il a attrapé un mauvais microbe.
- Kelly a disparu, a répliqué Mère fort à propos.  La chatière de la porte de la cuisine a été ouverte ce matin, je sais que tu ne ferais jamais ça, je suppose que c’est une mauvaise plaisanterie de Calixte.
Calixte s’est redressé et a très bien fait le fils mourant, avec un petit gémissement et des grands yeux souffreteux.

Je me suis offusquée avec le regard sincère numéro 5 celui que je sors à mes ex quand je leur garantie que je ne les ai JA-MAIS trompé.
- Il n’est pas allé à la cuisine ce matin, ni cette nuit d’ailleurs ! J’ai dû descendre et l’aider à monter les escaliers tant il était faible, et on n’a pas bougé de ma chambre depuis. Désolée. Elle ne doit pas être loin. On peut se recoucher ? C’est dimanche et regarde, Calixte est tout vert.

Mais Mère ne l'a même pas regardé, elle avait déjà tourné les talons en me disant sèchement :
- Très bien, je vois que tu n'as toujours aucun sens des priorités. Appelle le médecin pour ton frère et reste ici avec lui si tu veux, mais je te préviens, il faudra que tu prépares toi-même à déjeuner, ton père vient d'envoyer tout le personnel faire une battue pour retrouver Kelly. Je pars les rejoindre. 


Une fois Mère partie Calixte m’a regardé, l’œil vitreux, s'est étiré et m’a demandé :

- Pff, quel réveil, qu’est ce que je fais dans ton lit ? Je suis un peu vaseux là. C’est quoi cette histoire avec Kelly ? Mère a perdu son sac ?

1 commentaire:

mtislav a dit…

Maintenant que je connais quelques autres histoires de la famille, le récit ne me semble que plus savoureux. Si tu savais tout ce que tes lecteurs peuvent imaginer ! Tiens, je vais devenir "membre", je n'avais jamais osé jusqu'à présent. Membre !